Taxe carbone européenne : le désastre industriel annoncé (partie 2 sur 4)

Pour lire la partie 1 : cliquez ici.

Mi-décembre 2022, la Commission de Bruxelles, le Parlement et les représentants des États membres de l’UE se réjouissent de l’adoption de la taxe carbone aux frontières. Un évènement passé presque inaperçu en France, et pourtant particulièrement destructeur pour l’industrie européenne.

Pour imposer graduellement la décarbonation générale à toute la planète, il fallait d’un côté, contourner — hypocritement — les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), un axiome de base pour tout progressiste qui se respecte ; et de l’autre côté, défendre le rêve européen menacé par d’affreux produits fabriqués selon des normes écologiques hétérodoxes ; et ce, tout en désamorçant la bombe des délocalisations industrielles. La consigne fut donc donnée de présenter la taxe carbone comme le vrai projet de défense de l’industrie européenne, face au néolibéralisme écologiquement passif. Une équation impossible à résoudre bien entendu.

Après avoir décodé le contenu technocratique du MACF, voici ce qui se cache en fait derrière cette taxe carbone. Les deux dernières parties permettront d’évaluer l’impact sur la réindustrialisation de la France et d’expliquer qu’il y avait d’autres solutions moins destructrices de valeurs pour les entreprises françaises.

Alors, dans un élan suicidaire irrépressible d’inspiration décroissantiste, nos subtils écolocrates et bien-pensants eurocrates imaginèrent le MACF, un étrange accord, digne des rêves sybarites les plus fous des écologistes, et dont les conséquences sur nos industries seront dramatiques.

Comment les «eurocrates et écolocrates associés » crurent sauver leur honneur

À force de débats et discussions, le texte initial finit par s’assouplir et un accord fut entériné le 13 décembre 2022.

Dans un premier temps, le MACF s’appliquera à compter du 1er octobre 2023, mais pour une période de test transitoire, à priori de cinq ans. Il ne visera que les émissions de gaz à effet de serre liées à la production et non, celles résultant du transport des marchandises ; les camions polonais ou espagnols pourront donc continuer à polluer nos belles routes nationales, et nous, à les entretenir péniblement avec nos impôts.

Quant aux produits eux-mêmes, seules les matières premières seront taxées aux frontières ; et encore, pas toutes : fer, acier, ciment, aluminium uniquement. Bien vu, car la plupart de ces industries de base avaient déjà quitté l’Europe, en raison notamment du marché européen de l’énergie orchestrée par l’Allemagne. Par contre, on ne sait pour quelles raisons, sont venus s’ajouter à cette liste les engrais, l’électricité, les vis et… les boulons.

Plus curieux à priori, l’hydrogène sera taxé : il vient de loin (Australie, Chili, Chine, Namibie) ; mais aussi, parce que la production d’hydrogène nécessite d’abord — pour pouvoir réaliser l’électrolyse de l’eau — de produire d’abord de l’électricité à partir de gaz ou de charbon, ce qui n’est pas bon pour la planète. Parallèlement, on apprend que l’Allemagne veut se lancer dans la production d’hydrogène à grande échelle, et pour ce faire, vient de décider de doubler son parc de centrales au gaz. Et pour couronner le tout, on apprend qu’un amendement — déposé par l’eurodéputé chrétien-démocrate allemand (CDU) Markus Pieper — a été voté par le Parlement : « L’hydrogène [sera] considéré comme renouvelable. [Il] pourrait provenir d’une électricité issue du gaz ou du charbon. Une aberration climatique », racontait-on dans Marianne le 21 septembre 2022. Dans ces conditions, on comprend mieux la stratégie cachée de cette taxe carbone antihydrogène : en taxant dans un premier temps, l’hydrogène importé au nom des émissions de carbone produites dans le monde, on favorisera dans un deuxième temps, la production d’hydrogène en Allemagne tout en employant les mêmes process de fabrication polluants à base de charbon et de gaz. Outre le bilan carbone défavorable, il faut savoir que le coût total de l’énergie produite après électrolyse de l’eau versus celui de l’énergie nucléaire est en plus particulièrement défavorable à l’hydrogène. La logique de nos amis allemands est donc bien une nouvelle fois — et toujours avec l’aide de Bruxelles — de faire cavalier seul pour tenter de sauvegarder son modèle industriel, et non de vraiment sauver la planète.

Concernant le protocole de taxation sur les marchandises importées, seuls les importateurs de ces produits blacklistés seront tenus d’acheter des certificats MACF. Cerise sur le gâteau : si les importateurs ne peuvent pas prouver que ces limitations d’émissions carbone ont bien été prises en compte par la législation du pays producteur, leurs obligations se limiteront à… une simple déclaration. Les contrôles sérieux viennent de disparaître : il ne restera que d’eurobéates auto-déclarations et des industriels européens mis sous contraintes normatives. Bien entendu, pas un mot sur les produits fabriqués, on ne sait où, importés sans contrôle et vendus sur Amazon, eBay, Aliexpress, et autres plateformes de e-commerce.

Quant à ces pays maîtres chanteur disposant de forts moyens de pression (gaz, pétrole, émigration), ne vous inquiétez pas pour eux : par anticipation diplomatique, il est déjà écrit dans l’accord — chose incroyable — que « seuls les pays ayant la même ambition climatique que l’UE pourront exporter vers l’UE sans acheter de certificats MACF ». Gageons que les pays à forts moyens de pression auront tous la même ambition que « notre » Europe façon Macron.

L’ensemble du périmètre-produits regrouperait, selon le ministère de la Transition écologique, 45 % des émissions de GES dans l’UE : on a quelques doutes quand on observe les vagues de délocalisations industrielles successives des quinze dernières années… Y a-t-il encore vraiment autant d’usines en Europe ? Et pour faire bonne figure devant la presse internationale, on décida que d’ici 2028, la Commission européenne réexaminerait la situation en fonction des négociations internationales sur le changement climatique, et de l’impact réel sur les importations en provenance des pays en développement. Autrement dit, si les autres pays ne font rien pour réduire leurs exportations de GES, l’UE se tirera une deuxième balle dans le pied.

Ah j’oubliais… Au détour d’une lecture attentive des Actualités du Parlement européen, on apprend que la gouvernance du MACF sera pour l’essentiel centralisée à la Commission européenne : Ursula von der Leyen n’en finit pas de vouloir tout diriger à la place des exécutifs nationaux élus démocratiquement. Est-ce là sans doute, la raison pour laquelle Emmanuel Macron vise sa place en 2029, à moins qu’il ne démissionne de la Présidence française avant juillet 2024, date de la réélection possible d’Ursula von der Leyen. Qui nous parlait de souveraineté européenne ?

Un point positif cependant — on ressent ici  l’influence grandissante de la belle technocratie macronienne : la Commission  de Bruxelles escompte récolter avec ce dispositif une quinzaine de milliards  d’euros, ce qui semble peu au regard du budget de l’UE (171 Mds € en 2022).

Aux dernières nouvelles, bien consciente des graves problèmes liés à l’application de cet accord, la Commission de Bruxelles envisage maintenant la possibilité de donner gratuitement des quotas d’émissions des GES aux produits… européens vendus à l’exportation : on taxe les uns, on subventionne les autres, on ferme les yeux sur le reste, le tout dans une vaste pagaille règlementaire.

J’aurais pu finir mon article ici. Quelle erreur !

Le jeu de ball-trap industriel se joue en plusieurs manches

On note — dès le lendemain du vote de l’accord — que certains écologistes et ONG plus sourcilleux que d’autres contestent les engagements pris : ils insistent sur la suppression pure et simple des quotas gratuits et des allocations export accordées aux entreprises qui — jouant le jeu de Bruxelles — ont pourtant déjà investi dans des productions décarbonées en Europe. Ils exigent aussi la fin des exemptions pour « le transport maritime, le transport routier, et les industries du bâtiment » ; et enfin, ils réclament l’élargissement de l’accord à « l’utilisation des terres, de leur changement d’affectation et de la foresterie », d’après le site du Conseil de l’UE.

De même, le combat continue en faveur des pays en voie de développement, directement défendus à Bruxelles, notamment par l’ONG internationale Oxfam : « Les Européens sont responsables de deux fois plus d’émissions de carbone que la moitié la plus pauvre de la planète. Il faut donc éviter de les forcer à payer une taxe aux frontières alors qu’ils sont les plus durement touchés par la crise climatique ». Quid du nombre exponentiel des naissances de ces pays qui entraînent des problèmes environnementaux majeurs ? Culpabilité européenne, tant que tu nous tiendras, les ONG auront de beaux jours devant elles.

Avec cet accord, eurocrates et écolocrates ont cru sauver l’honneur de l’écologie, sauf que la bataille de l’anéantissement programmé de l’industrie européenne ne fait que commencer. Il apparaît clairement que ce MACF n’est qu’une première étape : la planète continuera d’exporter d’une façon ou d’une autre, ce qu’elle voudra tant que les écolocrates n’auront pas réussi à surtaxer tous les produits industriels, qu’ils soient importés et produits dans l’UE C’est une évolution inévitable vers laquelle nous nous dirigeons tout droit. Dorénavant, ce n’est plus qu’une question de temps. Les industriels l’ont tellement bien compris que déjà les projets de délocalisation aux États-Unis, au Royaume-Unis ou ailleurs ont repris à grande échelle.

Le « vert » est dans le fruit et il va tout manger.

Nous verrons dans la prochaine partie — grâce à un exemple concret d’entreprise —, les conséquences de la déroute programmée de l’Europe industrielle, face aux groupes de pression écologiques.

Yves Gautrey

Article paru dans la revue Front Populaire de Michel Onfray le 25 Janvier 2023.

Une réflexion sur “Taxe carbone européenne : le désastre industriel annoncé (partie 2 sur 4)

Laisser un commentaire