Afrique : trois générations plus tard, nous y sommes encore ! (Partie 2)

Il est temps que la France prenne – militairement parlant – ses distances avec l’Afrique. Analyse en deux parties (la première à lire ici).

Voyons dans cette 2ème partie le résultat de soixante années de géostratégie française, avec d’un côté, les coûts directs de la décolonisation s’accumulant depuis soixante ans : accusation constante de néocolonialisme et d’ingérences politiques, saupoudrage d’investissements et aides trop souvent considérées comme un dû, dont l’objectif postcolonial de nos bases militaires n’aurait que trop duré.

Et de l’autre côté, les gigantesques coûts indirects supportés en France, contrepartie impensée de l’immigration africaine sur le territoire français : présence surréaliste d’une main-d’œuvre bon marché qui tire vers le bas les revenus des classes moyennes françaises ; perte d’expertise technologique en raison notre incapacité à former dignement les étrangers qui veulent s’assimiler ; accueil douteux de migrants refusant les codes de la société française ; ressentiment de ces générations de nouveaux Français perdus entre leur histoire et la nôtre ; persistance des questions mémorielles postcoloniales, de véritables traquenards tendus à la France comme autant de rentes permanentes pour autocrates locaux en mal de légitimité ; et bien sûr, perte irréparable de notre identité civilisationnelle. Autant de sujets complexes que la France va devoir résoudre à coup de dizaines de milliards tous les ans pendant les deux ou trois décennies à venir ; et ce, tout en remboursant l’extraordinaire puits sans fond du « quoi qu’il en coûte » macronien.

L’Afrique est devenue un boulet pour la France

Tous les Germanopratins du dimanche objecteront en chœur la nécessaire sécurisation des produits stratégiques dont nous avons absolument besoin (uranium, pétrole, gaz, terres rares, etc.) ; autant de matières premières dont l’Afrique n’a plus l’exclusivité mondiale en raison de l’interpénétration des économies mondiales. De même, ils agitent sous notre nez circonspect l’absolue obligation de la défense des droits humains et valeurs universelles, auxquelles l’Afrique n’a jamais viscéralement adhéré si ce n’est au sein des institutions internationales. Ils invoquent la menace d’un djihad islamiste menaçant l’Europe et dont la France serait le rempart par sa seule présence militaire en Afrique : depuis le Vietnam, l’Irak ou l’Afghanistan, nous savons bien que les troupes de libération — avec le temps et les ambitions des potentats locaux — se transforment inévitablement en troupes d’occupation à chasser. Est-ce là le seul moyen pour certifier « combat proven » nos équipements destinés à l’exportation ? Et qu’il nous faut combattre le terrorisme directement sur le territoire africain tout en respectant le code de l’honneur des armées françaises engagées dans une guerre asymétrique pour laquelle le temps ne compte pas : tout cela au nom de notre propre sécurité intérieure, et sans se préoccuper du choix des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Certains défendent encore la thèse historique d’une « bilatérale franco-africaine »

Ils négligent sans sourciller le fait que la technologie — ordinairement américaine — nous offre des moyens souvent plus efficaces pour vaincre le terrorisme en France ou à l’étranger. Ils nous parleront défense de la langue française, francophonie et influence culturelle sur les 750 millions de francophones ; mais ce sont les mêmes qui laissent entrer le wokisme, l’écriture inclusive et la novlangue, quand ce n’est pas le franglais. Et enfin, ils nous opposeront finement la terrible menace des flux migratoires qui, en cas de guerres civiles intra-africaines, deviendront incompressibles : préférant risquer la vie de nos compatriotes en Afrique. Ignorant la misère qui s’est installée en Afrique, ils refusent par pure idéologie progressiste, la fermeture des frontières physiques que la France et l’Europe pourraient bien être réactivées en cas de besoin ; on a vérifié ce point pendant la crise du Covid. À bout d’arguments, ils nous ressortiront alors la sempiternelle nécessité du droit d’asile français mué désormais en droit à mieux vivre ailleurs et plutôt chez nous ; de même, qu’ils nous assènent l’équivoque acceptation de la métamorphose des moeurs françaises au nom de la différence religieuse, de la race et bientôt du changement climatique.

À l’heure des bouleversements démographiques, vouloir vivre sans frontière — et sans violence ni guerre sur notre sol — tout en portant le feu ailleurs pour ne pas le subir chez soi est un vieux phantasme de radsoc pacifistes chers à nos grands-parents : esprit munichois et souvent fier à bras. On sait comment l’histoire se termine.

En définitive, une froide analyse de la situation doit nous conduire à évaluer la balance bénéfices-risques pour la France au plan financier, énergétique, politique, moral, civilisationnel, et même droits-de-l’hommiste. À l’évidence, ces bénéfices de court terme — et leurs corollaires humanistes tant en France qu’en Afrique — apparaissent bien maigres au regard des graves complications sur le long terme qui se dressent sur le sol français. Tout ce gâchis pour ça, diront nos petits-enfants ?

Quoi qu’on en pense, l’Afrique a le droit de disposer d’elle-même

Au Sahel, les mots d’Emmanuel Macron ne veulent pas dire grand-chose. Ce qui compte là-bas se résume à la possession d’un territoire, d’un village, d’une communauté, d’un troupeau ; hélas, de femmes et de chameaux aussi. La zone est celle du nomadisme et du pastoralisme transhumant ; la coutume, c’est d’abord le commerce caravanier et la palabre entre une bonne vingtaine de peuples, souvent des tribus qui ne se mélangent pas vraiment entre elles : des Peuls aux Bejas ou Sénoufos, en passant par les Afars, Somaliens, Touaregs, Bambaras, Bobos, Bozos, Dogons, Malinkés, Minienkas, Sonrhaïs, Touaregs ou Soninkés. Les délimitations de frontières y sont artificielles : Mauritanie, Tchad, Mali, Burkina Faso, Niger, et zones nord du Cameroun, Nigéria ou Guinée, restent des pays artificiels aux communautés bien distinctes ; cette géographie humaine est à l’opposé du concept communément admis en France : la communauté nationale forme nation ; sauf qu’au Sahel, les tribus forment communautés indépendamment des nations et y vivre chichement les cimentent entre elles depuis toujours. L’histoire qui passe a beau faire son œuvre sur les hommes, les Européens connaissant l’Afrique le savent bien : le temps des guerriers, des marabouts et des économies tributaires n’est jamais loin ! La tradition y tient une place dominante, quand ce n’est pas tout simplement Dieu. L’État, la démocratie et les droits de l’homme ne sont pas les priorités du moment dans la plupart de ces pays : si les milices d’autodéfense ethniques tentent de résister aux groupes djihadistes, c’est avant tout pour leur survie ; pas pour défendre des libertés démocratiques ou des droits de l’Homme. Et si les troupes gouvernementales combattent encore, c’est une question d’argent ; et non, de patriotisme. Le terreau du terrorisme est donc là, simple à comprendre, facile à arroser : il suffira d’entretenir la terreur, la pauvreté, et le ressentiment contre les ex-puissances coloniales.

Or, « chaque peuple dispose du choix libre et souverain de déterminer la forme de son régime politique, indépendamment de toute influence étrangère ». Après tout, n’est-ce pas ce vieux principe, qui reste la source du droit international ? Pour l’appliquer, il faut donc cesser de mener une guerre en disant aux Africains comment ils doivent vivre chez eux. Au nom de quoi venons-nous imposer nos valeurs à des peuples qui n’en veulent pas ? La liberté est d’abord une conquête du peuple par le peuple, et non son imposition par un état étranger. « Macron l’Africain » ne pourra donc rien pour éviter ce long processus d’émancipation qui passe par des formes de grande violence, comme cela fut le cas en France. Il peut juste tenter de limiter l’ampleur de la barbarie annoncée ; mais à quel prix pour la France et les Français ?

Au total, 22 pays africains sont dorénavant confrontés au terrorisme ; les Français vivant là-bas connaissent le ressentiment quasiment atavique contre la France ; il s’accompagne dorénavant de réelles menaces d’attentats anti-français comme on l’a encore déploré récemment. Si l’histoire au Sahel est dramatique pour les occidentaux idéologues, elle l’est surtout pour les peuples africains. Mais tant que ces derniers ne se prendront pas en main, nous tomberons dans le piège des appels au secours des ex-colonies françaises : culpabilisation, repentance, compensations. Et au bout du chemin, la soumission chez nous.

Il est grand temps d’inscrire la France dans le XXIe siècle

À l’échelle de presque trois générations, l’Afrique est une immense déception. C’est l’échec de l’ère postcoloniale française et aussi celui de la France multiculturaliste, européiste et progressiste qui, au nom de valeurs généreuses et soi-disant universelles, a introduit le vers dans le fruit de notre développement et notre rayonnement dans le monde : nous avons gâché tellement d’opportunités tant en France qu’en Afrique. Ah… si nous avions été un peu plus pragmatiques, un peu moins sensibles à la bobologie stratégique, et surtout sans regret pour un passé qui n’est plus depuis si longtemps. Pour notre avenir, il est donc grand temps de quitter militairement l’Afrique, et de laisser les Africains décider, seuls, de leur avenir, comme nous l’avons fait en Indochine et au Moyen-Orient. Le Sahel, et l’Afrique en général, négocieront à leur façon une « paix à l’africaine », selon la tradition et le plus souvent avec l’aide de Dieu. Nous avons tellement de défis à relever au XXIe siècle pour nous sauver, plutôt que de maintenir une illusion coûteuse dont plus beaucoup d’Africains ne veulent vraiment.

Alors, laissons passer l’histoire ; gardons-nous de nos bonnes intentions et surtout, de notre mauvaise conscience ; c’est le meilleur cadeau que la France peut dorénavant faire aux Africains. Concentrons-nous plutôt en Afrique sur le commerce, l’humanitaire et le développement économique local, en arrêtant de vouloir y donner des leçons de civilisation. Et en échange, protégeons nos frontières et notre civilisation.

Mais heureusement, il nous reste — pour combien de temps encore ? — l’incroyable bagout commercial du président et surtout, sa capacité d’auto-congratulation permanente que le monde entier observe avec de moins en moins d’intérêt.

Yves Gautrey

Article paru dans Front Populaire le 21 février 2022

Une réflexion sur “Afrique : trois générations plus tard, nous y sommes encore ! (Partie 2)

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